De Jean-Pierre Tagliabue
pour le 80e anniversaire de Lucien Macheret
Parler de Lucien Macheret, c'est parler du TC Carouge, tant il est vrai qu'une grande partie de son existence se confond avec la vie du Club.
Membre du TC Carouge depuis 1955 date de la fusion avec le Tennicia, il est certainement aujourd'hui, le personnage qui a été le plus présent au Club de toute son histoire. On peut dire que Lulu et le TC Carouge sont en osmose.
S'il n'est pas un carougeois pur sang (il est né à Bernex le 25 janvier 1927) il est en tout cas un carougeois bon teint, puisqu'il arrive à la rue Caroline en compagnie de ses parents à l'âge de 4 ans. Parcours scolaire classique : école primaire aux Pervenches, Collège moderne.
À 15 ans il choisit la profession d'ébéniste et sort des Arts et Métiers avec son diplôme en poche.
Débuts professionnels avec un groupe d'artisans ébénistes dans un atelier à la rue Blanvalet, ses collègues de l'époque s'appelaient Macco, Haymoz et Lucien Duret.
Avant de découvrir le tennis, Lulu jouera au football et fera une honnête carrière avec les juniors du fameux C.S. International.
La découverte du tennis
À cette époque, il a 20 ans, il découvre le tennis. Le fils de son collègue Macco voulait apprendre à jouer au tennis. Il demande à Lulu s'il ne veut pas commencer avec lui et voilà nos 2 jeunes gens qui se pointent au Tennicia, un petit club carougeois de 2 courts, situé à la rue du Tunnel en face des usines Similor, présidé par le célèbre Léon Hodel, dont les figures de proue étaient Georges Bourgeois, Jean Vaudaux, Antony Dottrens et le jeune et prometteur Georges Sapey, dont le père cultivait des patates dans le champ voisin (derrière Similor).
En ce temps-là, c'était les membres qui refaisaient les courts, en sable, chaque printemps. Nous étions en 1947, Lulu achète sa première raquette et vous pouvez imaginer le nombre impressionnant de cordages qu'il a usés ces 60 dernières années !
Le musicien
Lulu n'était pas seulement ébéniste, footballeur et joueur de tennis, il était musicien. Il avait appris la clarinette à l'Ondine genevoise, jouait avec la Landwehr, avant de passer à l'Harmonie Nautique et à l'époque où il découvrit le tennis, il faisait partie d'un célèbre orchestre de danse carougeois : le « Caravanne » qui devint, anglophonie oblige, le « Ted River ». Ses copains musiciens étaient Jacky Faroux, Momie Meylan, Yuss Müller, Jean Cattin et l'incontournable négociant en vins Jean-Fernand Guazzoni dit « Maccarone » dont une grande partie de l'assistance se souvient.
C'est à travers sa participation aux activités de l'orchestre de danse qu'il fit la connaissance de Jeanine, qui était la chanteuse du groupe. Une idylle se noua, par la suite, ils se marieront et Véronique et Nathalie feront bientôt leur entrée dans le monde !
Nouvelle orientation professionnelle
Revenons au tennis : Le Tennicia fusionna avec le TC Carouge, car le propriétaire des terrains avait vendu et de ce fait Lucien fit son entrée à la Fontenette en 1955. Il joue beaucoup, son tennis est brillant, il a de beaux gestes, mais les résultats en compétition ne sont pas à la hauteur de ses espérances. Il n'a pas assez de patience et son beau jeu avantage l'adversaire !
C'est à cette période qu'il prend conscience que le tennis est un sport en plein développement, qu'il est en train de se structurer et qu'il intéresse de plus en plus de monde.
Comme tous les artisans, il a des difficultés dans son métier, il peine à joindre les deux bouts et envisage de faire du tennis sa nouvelle profession. Il suit les cours de formation de la Fédération Suisse des Professeurs de Tennis et obtient son brevet de professeur à Thoune en 1961.
À cette période, il n'y avait pas de professeur attitré au club. Certains titulaires du brevet de professeur donnait quelques heures de leçons et parmi ceux-ci, Georges Grange, brillant joueur, champion suisse amateur, orienta et conseilla Lucien Macheret qui fut donc le premier professeur officiel du TC Carouge, alors présidé par Adrien Carrisson qui était aussi président genevois et président romand des clubs de tennis.
Il faut relever l'avis de mon ami Jean Brechbühl, maître de sports de l'Université de Genève et responsable technique de l'enseignement à la Fédération des Professeurs de Tennis pendant les années 1950 - 1980 : Le meilleur professeur que peut choisir un débutant pour apprendre le tennis, c'est Lucien Macheret, sa technique, sa prise de raquette et la qualité de ses mouvements en coup droit et revers, de même que son service sont parfaits Ses conseils sont clairs, concis et précis. Quel beau compliment !
Début des cours juniors
C'est aussi en 1961 que Lucien mettra en place son premier cours pour juniors à la Fontenette en collaboration avec Gérard Tanner qui donnera également des leçons de tennis en parallèle avec Lulu pendant de longues années. Mais ils avaient une conception diamétralement opposée du tennis, comme de la formation des juniors et cela n'était pas l'entente cordiale !
Au début de la saison 1963, Jeanine et Lucien reprennent la buvette à la Fontenette des mains de Jacques Noverraz, le célèbe Nénesse au coup droit légendaire. Les anciens se souviendront du floklore des vestiaires en planches et des douches en tôle de zinc, ainsi que du petit local vitré de la buvette de la minuscule cuisine où l'espace était occupé entièrement par une cuisinière, un frigo et de la vaisselle, ne laissant pratiquement pas de place pour le cuisinier.
Souvenirs de repas mémorables
Lulu peut exprimer un nouveau talent, il devient un chef de cuisine réputé et propose très souvent des soirées gastronomiques : « La ballotine de canard », les « ombles chevaliers au four », les « truites en Bellevue », le « bœuf Wellington », les « omelettes norvégiennes » se succèdent au Trois Étoiles de la Fontenette pour une sacrée équipe de gourmets où nous nous retrouvions avec les Troger, Paley, Bob Lance, Oguey, Omarini, Oldrati, Ralf Hess, son frère Roby, Guillermin, Tanner, Gervaz et j'en oublie. C'est du reste depuis cette période que j'ai commencé à me laisser pousser le ventre !
En 1966, Janine et Lulu laissèrent la buvette à Robert et Lily Frenzel et ce sera le début d'une autre épopée dont on a déjà parlé au 80 ans de Lily !
Le club déménage
1967, transfert des installations du TC Carouge de la Fontenette à Pinchat. Lulu partage le court No 7 (au début nous n'avions que 7 courts en sable) toujours avec Gérard Tanner et donne beaucoup de leçons.
Parallèlement, il développe les cours juniors et certains jeunes talents éclosent : Martin, Rochat, Wuarin, Doelker, Guéniat sont les premiers produits de Lucien Macheret, entraîneur juniors.
En 1969, Lucien propose au comité d'organiser le Championnat Suisse des professeurs. Avec son frère Robert, il monte un comité d'organisation et cette compétition fort sympathique fut un des premiers grands événements organisés sur le plan national par le TC Carouge.
L'École de Tennis
C'est au début des années 70 que Lulu posa les bases de l'école de Tennis du TC Carouge qui perdure encore et de belle manière de nos jours. Jamais à court de bonnes idées il mit en place un système qui fut repris par la suite dans de nombreux clubs.
Aux bons éléments du début étaient venus vite s'en ajouter d'autres, tout aussi talentueux comme les frères d'Espine, Wieland, Pascal Macheret, Michel Dottrens, Jauslin, Horak, Grenier, Olivier Brun et encore bien d'autres.
Tous ces bons juniors devinrent des moniteurs et enseigneront les rudiments du tennis à une cohorte impressionnante de jeunes juniors dont le nombre croissait chaque année, car ce sport était en pleine période de démocratisation et ses adeptes toujours plus nombreux.
Ces jeunes moniteurs n'étaient pas payés mais recevaient des parties d'entraînement avec de très bons joueurs de compétition et c'est ainsi que l'on vit évoluer à Pinchat des Matthias Werren, Peter Kanderal ou autres Peter Holenstein et Michel Robadin. Ces joueurs étaient des professionnels et bien sûr, ils étaient rétribués.
De nos jours, le système a évolué, la notion d'argent a pris plus de prépondérance, Jeunesse & Sport a été créée, la formation est encadrée et il existe une hiérarchie tant des valeurs que des rétributions financières, mais le système mis en place et inventé par Lucien Macheret s'il a évolué tient toujours la route.
La section junior s'étoffe, de nouveaux professeurs de tennis encadrent et accompagnent Lulu dans son travail. Je me souviens de Michel Grolée qui précéda de peu l'arrivée de Jean-Michel Audibert qui prendra au fil des années au milieu des années 80, la place de professeur attitré du TC Carouge, car Lulu avançait en âge et ne pouvait plus passer 10 heures par jour sur le court et parallèlement, il était toujours plus sollicité par le travail administratif et l'organisation de son école de tennis dont les activités se multipliaient. L'entente entre Lucien et Jean-Michel se révéla tout de suite excellente, ils avaient la même conception de beaucoup de choses du monde du tennis et cette collaboration se révèle encore très fructueuse pour le club aujourd'hui.
Citons aussi Andréas Hufschmid, Fabrice Geydet, Manuel der Hagopian, sa fille Nathalie qui ont collaboré et collaborent encore à la section juniors de même que le dernier arrivé Roland Stopponi, issu également de la section juniors carougeoise, qui fit une honnête carrière pro dans les tournois « Satellites » et qui est, un des rares tennisman à pouvoir se vanter d'avoir battu Roger Federer en compétition dans un match de finale interclubs série B juniors Bâle-Carouge.
Championnats Suisses, Groupement Genevois et distinctions
Un autre événement où Lucien a pris une part prépondérante sera l'organisation des championnats suisses juniors en 1975 sur les courts de Pinchat. Ce fut le 3ème et dernier titre junior d'Heinz Günthardt qui n'avait que 15 ans et chez les filles Petra Delhees avait battu Christianne Jolissaint en finale. Les responsables de la FST remercièrent chaleureusement le club carougeois et particulièrement les frères Macheret pour la parfaite organisation.
Il faut encore signaler son activité intense au sein du mouvement junior genevois depuis des lustres. Dès les années 70 il s'est occupé de l'organisation des cours de perfectionnement, des compétitions comme les championnats genevois d'été et d'hiver à travers de nombreux comités qui allèrent du Groupement Genevois au HCC, en passant par le Martini, le Fert ou plus près de nous le Firstec. C'est pour cette activité inlassable au mouvement junior qu'il sera nommé membre d'honneur du Groupement Genevois des Clubs de Tennis en 1995.
L'année suivante en 1996, Lucien recevra une distinction dont il sera particulièrement et à juste titre très fier. Le Comité Olympique Suisse choisit de récompenser chaque année une personnalité ou un entraîneur qui s'est mis en évidence dans la formation des espoirs. 20 sports différents sont désignés, mais une seule distinction est distribuée par sport sur le plan national. Le mérite ira cette année là à Lucien Macheret pour le dévouement et l'énergie qu'il a déployés sans compter pour le mouvement du tennis juniors avec des résultats plus que concrets :
- 6 titres individuels de Champions Suisses : Serge Wieland, Sandrine Jacquet, Corinne Länzlinger, Olivier Bachmann, Jun Kato et Monica Maj.
- 3 titres de Champions Suisses par équipes série C, en 1987, série B en 1994 et 1995 auxquels s'ajoutera celui de 2002, toujours en série B et dernier exploit, pour le moment la place de finaliste l'an dernier en série A avec une défaite au poteau.
Sportif polyvalent
L'évocation de la carrière de ce grand sportif ne serait pas complète, si l'on oubliait de signaler que Lulu pratiquait le ski de piste et ensuite le ski de fond toujours avec les copains et les copines du tennis. Il a même participé au fameux Marathon de Saint-Moritz pour fêter ses 50 ans, en compagnie de quelques fidèles du tennis : René Oldrati, Raymond Omarini, Jacques Berchten, Jean-Daniel Sigel, Jacky Redard, Jean-Claude Briffod, Jacques Tschanz.
Enfin et cela n'est pas sa moindre occupation, Lucien a découvert le golf en 1980 et il le pratique assidûment depuis cette date et encore aujourd'hui.
Il était en vacances à Crans-Montana où il y avait sûrement un tournoi de tennis et logeait à l'Hôtel des Alpes situé devant le 9 trous de la station. Geneviève Barras-Duffaud, l'hôtelière, membre du TC Carouge et aussi du Tennicia, lui prête ses clubs et ses premiers essais sont concluants : il attrape aussitôt le virus du golf. Il achète l'équipement de Jean-Marc Baud, autre brillant joueur de tennis, hélas disparu, s'inscrit à Divonne et devient rapidement un bon joueur de golf, sa très bonne technique de la raquette lui permettant d'avoir une aussi bonne technique avec les clubs. Il y a une grande similitude entre le tennis et le golf.
Il fut un précurseur de la golfomania qui provoquera une véritable hémorragie au TC Carouge : des dizaines voire centaines de joueurs de tennis délaissèrent les courts de Pinchat pour les greens de Bossey et le club carougeois connu alors quelques années de flottement ! Et vous êtes beaucoup aujourd'hui à la fête qui ne me contredirez pas !
Voilà rapidement brossé, l'évocation d'une carrière bien remplie où le sport tient une place prépondérante et le tennis tourne à la passion. Tu as choisi le tennis pour en faire ta profession. Comme tu es un passionné, tu as réussis un parcours exemplaire et ce n'est pas fini. Tu as 80 ans, un âge où beaucoup sont à la retraite depuis bien longtemps, mais toi tu continues !
Tous tes amis te souhaitent aujourd'hui de continuer encore longtemps pour le plus grand bien du tennis et du Tennis Club de Carouge.
Jean-Pierre Tagliabue, dit TacTac
(Évocation de la carrière de Lucien Macheret, directeur de l'École de Tennis du TC Carouge et professeur de tennis, par J-P Tagliabue, président d'honneur, lors du repas d'anniversaire tenu le 25 février 2007 au club-house.)